jeudi 9 octobre 2008

Une épreuve et un privilège

Hier après-midi en revenant des pommes avec les enfants nous avons vécu quelque chose qui, heureusement, n'arrive pas souvent. On était garé dans la cour et je me préparais à rentrer quelques sacs dans la maison quand une superbe chevreuil a traversé la rue et notre terrain dans toute sa longueur en bondissant. Ce moment d'émerveillement a rapidement laissé place à un moment beaucoup plus troublant. Quelques secondes après la traversée de la mère, un jeune faon encore tacheté de blanc s'est élancé pour traverser la rue sans avoir la même chance que sa mère. Il s'est fait frapper de plein fouet à peine quelques mètres avant de toucher le trottoir. Zoé l'a vu se faire frapper et voit encore la scène avec les poils virevoltant comme des plumes sous le coup du choc. J'ai manqué cette fraction de seconde car je suivais la mère des yeux mais quand je me suis tournée j'ai vu la fin de la scène, le bébé frappé qui se débattait avec lui-même pour essayer de se remettre debout. J'ai lâché mes clés et mes sacs et me suis précipitée à ses côtés. Impossible pour moi de le laisser là en plein milieu de la chaussée.. Je l'ai pris dans mes bras pour le transporter sur mon (long) gazon. Je l'ai couché par terre et je l'ai flatté, tentant de le calmer, de l'apaiser, de l'accompagner. Deux pattes rompues, une troisième plutôt amochée et plein de petites plaques sur le corps où du poil manquait (le poil que Zoé a vu voleté au moment de l'impact). C'est à ce moment que les deux gars dans le camion ravageur ont daigné (ou osé) descendre de leur véhicule et venir constater les dégats. Deux beaux caves tant qu'à moi.... Après quelques minutes d'échange verbal qui m'a apparu plutôt inutile, ils sont repartis. J'ai appris plus tard en parlant avec la policière qui a répondu à l'appel que quelqu'un qui frappe un animal sauvage doit rester sur les lieux et contacter les policiers afin qu'un rapport d'accident soit rempli. Ce qui m'a le plus surpris a été la réaction de ces deux larons, mi-vingtaine.... Ils n'allaient pas si vite que ça mais j'ai l'impression que le conducteur n'était pas particulièrement attentif. Ça aurait pu être un enfant... Je ne souhaite à personne de tuer un être vivant. J'ai eu une pensée pour mon père et ses copains que la chasse appelle à chaque année... Go vegan Go! Mes deux filles qui étaient présentes au moment de l'accident ont finalement bien dealer avec ça, la vie aidant. Une fois la policière repartie, Andréa a été invitée chez mon "p'tit frère" qui avait un cadeau de fête "en avance" à lui offrir. Elle en a profité pour faire un arrêt au magasin où travaille ma mère spirituelle. D'en parler avec elle lui a fait du bien. Quand à Zoé, elle a été rejoint à epu près en même temps par son ami Zac. Tout deux ont cueilli (sous l'initiative de Zoé) des feuilles de plantain qu'ils ont déposées sur les plaies du faon ainsi que sur son oeil grand ouvert. À l'heure du coucher j'ai longuement parlé avec Zoé. Elle avait encore l'image du faon qui secouait sa seule patte encore fonctionnelle pour essayer de se relever. On a parlé de la vie, de la mort, du corps de ce petit chevreuil qui était encore là, sous la faible pluie qui tombait hier soir. Son corps est d'ailleurs encore là, presque 24h plus tard, attendant toujours que quelqu'un de la ville vienne le ramasser. On a parlé de la possibilité que nous naissons tous avec un certain plan de match et que peut-être que ce petit chevreuil avait accepté de mourir ainsi pour ouvrir les yeux de ce chauffeur. Peut-être ainsi ce même chauffeur conduira plus attentivement dorénavant et peut-être même que ce faisant une ou des vies humaines seront sauvées...


Pour ma part, malgré toute la douleur et l'impuissance ressenties durant cet évènement, j'en ai aussi reçu de beaux cadeaux, des privilèges...

Le plus grand, avoir l'honneur de transporter ce petit être dans mes bras pour le déposer sur le gazon. Ce geste je le revis encore et encore, me sentant utile mais sentant aussi que je transportais dans mes bras la puissance de la vie sauvage et pure ainsi que le grand cycle de la vie et de la mort. Tout ça entre mes bras, le temps de quelques instants...

L'autre cadeau reçu a été de pouvoir le flatter et l'inonder d'amour. Un privilège que j'ai partagé avec Zoé, une Zoé présente, profondément ancrée et connectée, une alliée.

Le troisième cadeau a pris la forme d'un clin d'oeil à ma puissance féminine. Les trois personnes à qui j'ai parlé au service de police étaient des femmes. Des femmes que je sentais touchées par la mort de ce faon.


D'ailleurs cette mort a ouvert des contacts avec des gens qui ne se seraient pas vraiment (ou même pas du tout) parlés dans d'autres circonstances. J'ai eu le feeling que de voir la mort d' un animal sauvage arriver sous nos yeux d'humains venait toucher quelque chose de puissant. Peut-être que le fait qu'il ne s'agisse pas d'une vie humaine rend inutile le voyeurisme ou les barrières de protection qui empêchent les gens d'être aussi vrai que ceux que j'ai vu aujourd'hui. Ou peut-être pas... Peut-être qu'hier après-midi j'ai simplement eu l'honneur de côtoyer des gens qui étaient, à cet instant, dans leur coeur... Merci!


J'ai aimé avoir un gazon non tondu. Cricket Hill (le nom de notre "domaine") a accueilli ce petit chevreuil dans ses derniers moments.
Rajout de dernière minute: quelqu'un de la sécurité routière est venu ramasser le corps... Un tel manque de respect est ahurissant. Encore une fois les enfants l'ont vu (avant moi d'ailleur). Ils ont vu ce monsieur tiré leur bébé chevreuil par une de ses pattes cassées et l'ont aussi vu le garocher dans sa boîte de camion. Un de leur commentaire: "Si cela avait été le corps d'un enfants il ne l'aurait certainement pas tiré par la jambe." J'allais leur répondre que c'était parce qu'il s'agissait d'un "vieux" corps et qu'il y avait risque de contamination mais j'ai du m'arrêter à mi-chemin dans ma phrase parce que ça ne marchait pas mon explication. S'ils retrouvent le corps de quelqu'un une journée après sa mort, c'est vrai qu'il ne le tireront pas par le pied pour le sortir de la forêt. Tout le monde crierait d'indignation devant ce manque de respect d'un être humain même décédé.... Hellllllllooooooooooooooo! Deux poids deux mesures???????? Ça fait aucun sens à mes yeux ni aux yeux de mes enfants.....
Bonne réflexion!


2 commentaires:

Eve Love a dit…

c'est super beau ce que tu as écrit marie-pierre. ta façon de voir tout ça est tellement noble et pleine de respect pour la vie. ça me touche beaucoup.
et oui, c'est d'après moi un privilège pour toi d'avoir pu vivre ça en compagnie de tes enfants. ces petits être ont de la chance de grandir et d'évoluer à tes côtés.
merci de partager tout ça.

Clo a dit…

C'est important d'avoir partagé votre histoire, et le pauvre petit faon n'aurai pas pu vivre ses dernières minutes de vie en meilleure compagnie. Mais moi, je ne suis pas touchée par la beauté de l'histoire mais plutôt ahurie par la stupidité humaine qui est, ma foi, galopante.